Le drame d’Ibrox Park

Publié le : 30 mai 20207 mins de lecture

Il y a exactement 42 ans, 66 personnes perdaient la vie lors du derby de Glasgow entre les Rangers et le Celtic à l’Ibrox Park. Une égalisation, un mouvement de foule, un stade vétuste et un escalier fragile furent les ingrédients de ce cocktail mortel. Récit du plus grand drame de l’histoire du football écossais.

2 janvier 1971. Les Rangers reçoivent le Celtic dans le fameux Old Firm, le célèbre derby de Glasgow. La rencontre qui devait avoir lieu le 1er janvier avait été reportée au lendemain par les autorités qui craignaient des débordements entre supporters rivaux après un Hogmanay (dernier jour de l’année en écossais) très arrosé. En tête du championnat, les Hoops disputent le titre à Aberdeen (ils finiront premiers avec dix points d’avance sur leur concurrent) tandis que les Rangers, concentrés sur la Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe qu’ils remporteront cinq mois plus tard contre le Dynamo Moscou, ne sont que troisièmes, à bonne distance du voisin glaswegien. Mais intérêt sportif ou pas, le derby déchaîne toujours les passions. À une époque où la rivalité entre les deux équipes est à son apogée, plus de 80 000 personnes se massent dans l’Ibrox Park. Si, dans les tribunes, le spectacle est au rendez-vous, sur le terrain c’est une autre histoire. Du givre, de la brume, un soleil visiblement resté au lit avec la gueule de bois… « Un temps typique du Nouvel An. Un de ces jours où il n’y a jamais vraiment de lumière », rappelle dans le Telegraph l’ancien défenseur des Celts Billy McNeill, resté en tribune à cause d’une blessure. Les conditions sont exécrables et le jeu s’en ressent. À la 89e minute, Jimmy Johnstone glace encore un peu plus l’ambiance en ouvrant le score pour le Celtic. De nombreux supporters des Rangers, dépités et désireux d’éviter l’encombrement du métro, commencent à quitter le stade. C’est le moment que choisit Colin Stein pour offrir une égalisation inespérée aux siens sur coup franc. Le drame peut prendre forme.

Un escalier, 66 morts

La légende urbaine veut que la catastrophe ait fait suite à la marche arrière de certains supporters qui souhaitaient retourner dans le stade après avoir entendu les clameurs accompagner le but égalisateur des Rangers. Mais contrairement à ce que beaucoup croient encore aujourd’hui, il n’y a pas eu de double mouvement de foule. D’après l’enquête officielle, tous les spectateurs se dirigeaient en effet vers la sortie. La vérité se situe donc ailleurs. Selon plusieurs témoins, tout a commencé par la chute d’une personne, probablement celle d’un enfant assis sur les épaules de son père. Effet domino, les dégringolades s’enchaînent créant un empilement au niveau de l’escalier 13 où un goulot d’étranglement oblige les gens à sortir au compte-goutte. « Plus on s’approchait de l’escalier, plus l’écrasement devenait important », raconte Matt Reid, adolescent à l’époque, dans le Daily Record. Sous le poids de l’entassement des spectateurs, les mains courantes de l’escalier cèdent. Les gens s’effondrent et la peur les envahit, entraînant un mouvement de foule mortel. « À cause de la foule, nos pieds ne touchaient plus terre et on a été trimballés jusqu’au sommet de l’escalier, à côté de la barrière latérale, poursuit Reid. Un mouvement de foule nous a fait descendre une partie de l’escalier. C’était comme si on était catapultés. J’ai entendu un grincement horrible, c’étaient les mains courantes qui cédaient. Il y a eu un autre mouvement de foule, et mon père fut emporté. À mesure qu’il s’en allait, il criait : « Mon Dieu, mon fils ! » Sa dernière pensée fut pour moi. (…) Je savais que je m’enfonçais. Je me suis retrouvé par terre, les gens marchaient et couraient sur moi. Je commençais à perdre conscience, mais je me sentais en paix. » Sauvé par des secouristes qui l’ont retrouvé sous plusieurs corps sans vie, Matt a eu plus de chance que les 66 personnes, dont treize enfants, qui ont perdu la vie ce jour-là, la grande majorité des décès ayant fait suite à une asphyxie par écrasement.

1902, premier drame à l’Ibrox Park

Venu assister à la rencontre en tant que journaliste du Herald de Glasgow, Andrew Young se souvient parfaitement des minutes qui ont suivi la tragédie. « La véritable horreur est devenue visible en haut des gradins, se remémore-t-il sur la BBC. Une demi-douzaine de corps sans vie était allongée sur le sol. Des secouristes trébuchaient sur les morts et les blessés alors qu’ils essayaient d’aider d’autres victimes. Il y avait des restes des lourdes barrières en acier. Elles avaient été déformées par le poids des corps. Il y avait également des dizaines de chaussures qui avaient été arrachées dans la bousculade. De l’autre côté des escaliers il y avait encore de nombreuses personnes qui criaient. » Considéré comme le plus grand drame de l’histoire du football écossais, « le désastre d’Ibrox » est pourtant loin d’être le premier. En 1902, le 5 avril pour être précis, Ibrox Park avait connu sa première tragédie lors d’un match comptant pour le championnat des Îles Britanniques entre l’Écosse et l’Angleterre au cours duquel une tribune s’était effondrée, causant la mort de 25 personnes, en blessant plus de 500. Si à l’époque on pouvait comprendre la fragilité des infrastructures, 70 ans plus tard les choses auraient dû changer. D’autant plus que le 16 septembre 1961, deux personnes avaient déjà trouvé la mort à la suite d’un mouvement de foule d’une moindre ampleur au niveau de ce même escalier 13. Aucune mesure sécuritaire n’avait alors été prise. Il faudra attendre les grandes catastrophes des années 1980 – Valley Parade, Heysel, Hillsborough – et plusieurs centaines de morts pour que le football britannique prenne enfin un tournant sécuritaire. Il était temps.

 

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